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LECTURES du Bonheur

Ecrire sur les textes qui ont célébré le bonheur voilà une entreprise faite et refaite depuis longtemps.Activité originale est cependant la lecture d'un livre,célèbre ou non.Faire sentir aux autres ce qui m'a touché et interessé ,ce qui a nourri l'imagination et ouvert un chemin,voilà ce que je voudrais si possible tenter.

Jane Austen montre en quoi consiste la méchanceté des riches lorsqu'ils se laissent aller à l'égoïsme,au narcissisme,au rejet méprisant des autres.

                                

                      Ci dessus,Frank Churchill accompagne Miss Fairfax qui joue  du piano.(Emma)

                                                                     *

Dans l'œuvre de Jane Austen,il n'y a pas uniquement des jeunes filles qui attendent et qui guettent l'heure de leur mariage,mais aussi une description comique ou grave des rapports entre les hommes.

Ainsi,Mr Knightley sait qu'il existe des gens courageux ,inventifs ,intelligents ou fins ou encore des imbéciles et lâches  dans n'importe classe sociale,que personne en fait n'a le privilège de la vertu ou du vice. Cette manière de penser la vie en contournant les préjugés est admirable ,et c'est ce qui l'oppose et le distingue d'Emma.L'imagination et la jeunesse  d'Emma,une certaine forme d'imprudence et de sottise,la puissance néfaste des opinions   lui font préférer  Mr Elton,pasteur , beau garçon ,mais arriviste notoire, à Mr Martin,fermier ,indigne en somme d'épouser la jeune amie d'Emma,miss Smith.

Ceci entraîne  la vive protestation de Knightley.

"Les manières de Robert Martin témoignent d'une intelligence ,d'une franchise et d'une gaieté qui ne peuvent que le recommander et ce jeune homme montre plus de véritable noblesse qu'une Harriet Smith n'est capable d'en concevoir." (Emma,79,édition 10/18).

La sottise d'Emma peut cependant être pardonnée:elle n'a pas encore l'expérience des hommes et de la vie que possède Knightley ,plus âgé.

Plus grave est l'opinion de Sir Walter Elliot ,dans Persuasion.Dans un texte profond  et d'une simplicité admirable ,Jane Austen montre en quoi consiste la méchanceté des riches lorsqu'ils se laissent aller à l'égoisme ,au narcissisme ,au rejet méprisant des autres.

La pensée faible et le cœur dur, Elliot décrit l'amiral Baldwin comme un être prématurément vieilli par son métier ,effrayant par là même,que l'on devrait anéantir au plus vite.

"Un jour au printemps dernier ,en ville ,je fus,en compagnie de deux hommes ,exemples frappants de ce dont je cause ,Lord St Ives ,dont nous savons tous que le père était simple pasteur de campagne ,avec à peine de quoi manger :je dus céder le pas à Lord St Ives et à un certain amiral Baldwin,le plus pitoyable personnage qui se puisse imaginer :une tête couleur d'acajou ,rude et rugueuse à l'extrême ,toute en rides et en sillons,neuf cheveux gris d'un côté et une simple touche de poudre au sommet du crâne.

Au nom du ciel,qui est ce vieux bonhomme ?"dis-je à un mien ami qui se tenait près de moi (Sir Basil Morley). Vieux bonhomme !s'écria Sir Basil ;c'est l'amiral Baldwin.Quel âge lui donnez-vous?-Soixante ans ,dis-je,ou peut-être soixante deux.- Quarante ,répliqua Sir Basil,quarante,pas plus.

Représentez vous ma stupéfaction ;je n'oublierai pas de sitôt l'amiral Baldwin .Je n'ai jamais vu d'exemple aussi piètre de ce que peut faire une vie passée en mer;mais jusqu'à un certain point ,je sais qu'il en est de même d'eux tous :ils sont tous ballottés de-ci,de -là;exposés à tous les climats et à toutes les intempéries ,jusqu'à ce qu'ils soient impossibles à voir .C'est dommage qu'on ne les assomme pas d'un coup avant qu'ils n'atteignent l'âge de l'amiral Baldwin.

-Nenni,Sir Walter ,s'écria Mme Clay,c'est être vraiment sévère .Ayez un peu pitié des pauvres hommes.(.)

En fait,comme j'en suis depuis longtemps convaincue ,bien que chaque métier en particulier soit necessaire et honorable ,c'est seulement le lot de ceux qui ne sont pas obligés d'en embrasser un ,qui peuvent vivre d'une façon réglée ,à la campagne ,choisissent leurs heures ,s'adonnent à leurs occupations et vivent sur leurs propriétés ,sans connaître le tourment d'essayer d'avoir davantage ;c'est seulement leur lot ,dis-je ,de porter les dons de la santé et de la beauté au plus haut;je ne connais d'autre genre d'hommes que ceux qui perdent quelque chose de leur attrait quand ils cessent d'être tout à fait jeunes." (Persuasion,,27-28 .10/18).

Le bonheur du lecteur n'est pas ici,je le reconnais ,entier et plein! Je le sens comme une complicité que l'on peut avoir avec l'esprit critique de l'écrivaine,,sa profonde et simple humanité,comme une connivence qui se fait dans le présent entre elle et celle,ou celui qui lit.

La réponse de Mme Clay à la sottise cruelle de Sir Elliot  n'est pas sans profondeur:Seuls ceux qui travaillent à travers un métier font l'expérience de l'usure des corps et des esprits ,du vieillissement lié à leur activité .Les autres ,libérés du souci de gagner leur vie,passent leur temps libre à lire ,se cultiver,ou ,dans le pire des cas,à polir l'image narcissique qu'ils ont d'eux -mêmes ,et qu'ils doivent entretenir encore et encore.

Dans le fond,sans le savoir,Mme Clay parle de l'aliénation au travail ici ,de cette perte qui peut-rendre l'homme étranger à la santé de son corps,à la créativité de son esprit,ce que dira Marx quelques décennies plus tard dans les Manuscrits de 1844.

Jane Austen le précède sur ce point,en attirant l'attention du lecteur sur le monde du travail ,des métiers;dans leurs liens avec le corps et la pensée des  hommes.

                                      

                                  Les cinq cents millions de la Begum;Stahl stadt.

 

 

 

 

 

 

 

 

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